Me serais-je trompe?
Les marchés croient à la poursuite de la hausse des taux
LE MONDE
Les marchés financiers ont apprécié l'absence de mauvaise surprise, et les gouvernements européens, qui étaient hostiles à toute hausse, ont préféré s'attarder sur l'idée qu'elle serait la dernière. Comme elle l'avait quasiment annoncé, la Banque centrale européenne (BCE) a augmenté, jeudi 1er décembre, d'un quart de point ses taux d'intérêt. A 2 % depuis juin 2003, le principal taux directeur passe ainsi à 2,25 %.
Sourde aux pressions, la BCE a estimé que "le niveau de risque pour la stabilité des prix était tel que nous devions procéder à cette correction modérée", a indiqué, jeudi, Jean-Claude Trichet, son président, en faisant référence à la hausse des prix du pétrole et à la croissance rapide du crédit.
Il a rappelé que ce geste "n'est pas une décision ex ante du conseil des gouverneurs de s'engager dans une série de hausses de taux", précisant, suite à une question, qu'il fallait traduire en français ex ante par a priori. Il a laissé entendre que la banque centrale prendra, à l'avenir, ses décisions après évaluation des futurs indicateurs économiques. Plusieurs ministres des finances en Europe se sont réjouis que l'institution monétaire puisse envisager de s'arrêter là.
CONSENSUS DES ÉCONOMISTES
La communauté financière a toutefois du mal à adhérer au scénario que laisse entrevoir la BCE. Serait-ce une simple opération de communication pour calmer les esprits et faire retomber la pression après les demandes insistantes des gouvernements, des syndicats et des entreprises qui lui enjoignaient de ne pas relever ses taux pour ne pas pénaliser la croissance ?
Les économistes ont cherché dans les déclarations de son président les éléments qui pourraient montrer que la BCE va continuer le mouvement. "Le fait que M. Trichet ait réitéré l'idée de suivre de près les risques pesant sur la stabilité des prix suggère que de futures hausses de taux ne sont pas totalement exclues", juge Audrey Childe-Freeman, économiste chez la banque canadienne CIBC. Plus sévère, Marc Touati, l'économiste de Natexis Banques populaires, considère cette hausse "sans justification économique crédible". Il rappelle que "M. Trichet disait il y a tout juste deux mois" que la BCE n'était "a priori pas prête à augmenter de nouveau ses taux dans les prochains mois".
Pour Lorenzo Codogno, coresponsable de la recherche économique européenne, chez Bank of America, les propos de M. Trichet signifient juste que "le conseil de la BCE n'a pas encore réuni un consensus sur ce qui va se passer ensuite. Ce qui ne veut pas dire que les taux ne vont pas monter dans quelques mois. Après tout, ce qui s'est passé au cours des deux derniers mois a montré qu'en cas de besoin la BCE peut parvenir à un consensus rapidement".
M. Codogno évoque les divergences d'opinions affichées par les membres du comité de décision sur les taux. Un sujet qui agace profondément M. Trichet. Après avoir éludé plusieurs questions sur le sujet, il a néanmoins lâché, jeudi, que certains gouverneurs ont plaidé pour un relèvement plus important et d'autres pour que la hausse soit différée, mais que tous se sont rangés à la décision.
Rares sont les scénarios monétaires envisagés par les économistes dans lesquels la BCE ne remonte pas encore une fois ses taux. Celui de M. Codogno prévoit une hausse d'un quart de point tous les trimestres en 2006, ce qui porterait son taux directeur à 3,25 % fin 2006. Bruno Cavalier, économiste au Crédit agricole, situe la "neutralité monétaire" à 3,50 %. Il prévoit également des "hausses d'un quart de point par trimestre, espacées tout au long de 2006", la prochaine ayant lieu " en mars 2006".
Les économistes de BNP Paribas estiment que la conférence de presse de M. Trichet a montré que "la BCE n'est pas en pilotage automatique, comme la FED l'était récemment encore". Ils jugent qu'"avec des prévisions d'inflation supérieures à 2 %, et un crédit très dynamique, elle est susceptible de poursuivre son resserrement à un rythme modéré et prudent", soit "deux hausses d'ici à juin 2006". Enfin, pour Sylvain Broyer, économiste chez IXIS CIB, la BCE pourrait s'arrêter à un taux de 2,5 % après un relèvement d'un quart de point à la fin du premier trimestre 2006, lorsque l'inflation atteindra probablement 2,6 %.
Les marchés, eux, croient à une hausse d'un quart de point dans le trimestre, comme le montre le taux à trois mois qui s'est rapproché des 2,5 % cette semaine. Les taux à dix ans ont joué au Yo-Yo : ceux de la France sont passés de 3,42 %, vendredi 25 novembre, à 3,46 % mardi, avant de retomber à 3,41 %, vendredi. Idem pour l'euro. Après s'être apprécié lundi (1,1850 dollar en clôture, + 1,07 % sur la séance), il est revenu peu à peu à 1,1684 dollar, vendredi.