La finance a évité le pire grâce aux perfusions massives de liquidités des banques centrales et à la baisse drastique des taux de la Fed. Mais le deuxième round de la crise s’annonce plus douloureux. Cette fois-ci, c’est l’économie réelle qui commence à souffrir, des ménages aux entreprises.
La cascade de faillites a commencé. Six entreprises américaines importantes ont fait défaut sur leurs obligations au cours des dernières semaines, contre 17 pour l’ensemble de l’année dernière.
Je ne croyais pas à la possibilité d’un rebond instantané de l’économie, et n’ai pas pour habitude de me laisser impressionner par de sombres prévisions. Mais la dernière étude publiée par Standard & Poor’s : « l’éclatement après le boom », m’a épouvantée.
La liste des entreprises en difficulté est assez variée, mais pour le moment la plupart sont des victimes de la crise immobilière : Linens’ N Things, ( 650 millions de dollars), Kimball Hill ( 703 m), Home Interiors ( 310 m), French Lick Resorts ( 142 m), Recycled Paper Greetings ( 187 m), Tropicana et Divertissement ( 2,49 milliards).
Comme le montre la dernière enquête sur le crédit de la Fed, les prêteurs ont fermé les guichets. Une fois passé le délai habituel, le poison se propage des banques au monde réel.
Diane Vazza, responsable du secteur crédit de S&P, indique que le nombre de défaillance d’entreprises est deux fois supérieur à celui observé lors des ralentissements économiques précédents. « Les entreprises entrent dans cette période de récession avec une situation beaucoup plus toxique. Leur marge d’erreur est très faible, elles sont sur le fil du rasoir », observe-t-elle.
Les deux tiers ont une notation qui les place dans la catégorie des investissements « spéculatifs » alors que ce n’était le cas que pour 50% d’entres elles à l’époque de l’éclatement de la bulle Internet, et 40% au début des années 1990. La raison de cette situation tient à leurs niveaux d’endettement qui « ont considérablement augmenté durant les 18 derniers mois du boom du crédit. De nombreuses transactions ont été financées qui n’aurait pas dû l’être », juge-t-elle.
Les emprunts émis par quelques 174 entreprises américaines se négocient à un « niveaux de détresse ». Les primes de risques sur leurs obligations ont explosé au-dessus de 1000 points de base. Et ce chiffre ne prend pas en compte le désastre dans les petites entreprises.
La ville de Vallejo en Californie (117000 habitants) vient de prendre une décision sans précédent en se déclarant en faillite, en raison de la baisse de ses revenus fiscaux induite par une chute de 26% des prix de l’immobilier. D’autres pourraient suivre.
« C’est la pointe de l’iceberg : tout le monde va faire la queue pour les déclarations de faillite en Californie, » déclare John Moorlach, un fonctionnaire du Comté d’Orange.
Les consommateurs américains jonglent avec leur carte de crédit pour différer le jour où ils devront solder les comptes. L’enquête de la Fed indique que les en-cours de crédit assoicés aux cartes bancaires ont bondi de 6.7% au premier trimestre pour atteindre 957 milliards, soit 6000 dollars par adulte américain, en dépit de taux proche de l’usure, près de 20%.
« Mon sentiment c’est que de nombreux Américains continuent à laisser courir leurs crédits de carte bancaire car ils ont assez peu l’intention de le régler le tout," estime Peter Schiff, chez Euro Pacifique Capital.
Fort heureusement, le blitz monétaire de la Fed a permis d’éviter une dépression. Les prêts en urgence accordés aux banques en invoquant la clause des « circonstances inhabituelles et exceptionnelles » de son règlement,. - l’arme absolue de l’article 13, inutilisé depuis les années 1930 - a permis de sauver le système bancaire.
Il n’y aura pas non plus d’ « Apocalypse des taux variables ». Les réductions drastiques des taux auxquelles la Fed a procédé - passant de 5.25% en Septembre à 2% aujourd’hui - ont permis d’éviter cette catastrophe.
On frémit en imaginant ce qui aurait pu se passer si la tendance dure de la Fed (Plosser, Hoenig, Fisher) l’avait emporté, comme cela avait été le cas dans les années 1930 - et comme c’est le cas dans la zone euro, où l’Allemand Axel Weber règne en maître, sans que personne n’ose prendre la tête d’une mutinerie.
Malgré cette opération de sauvetage, les prix de l’immobilier US sont susceptibles de chuter de 25% par rapport à leurs maximums, indiquent Lehman Brothers et Goldman Sachs. Nous n’en sommes à peine qu’à la moitié mais ce sont déjà 10 à 12 millions de foyers qui sont dans le rouge, avec un emprunt supérieur à la valeur de leur bien.
Les « bears » de la Société Générale sont entrés dans une phase d’hibernation Sibérienne, et lancent une alerte d’ « Age Glaciaire ». Ils ont réduit leur exposition sur le marché des actions au minimum, à 30% ; pour la première fois dans l’histoire de la banque.
La part des placements « super-sécurisés » en obligations d’État a été portée à un maximum de 50%. Ils font le pari que va se produire une redoutable déflation à la « japonaise ». La banque s’attend à voir le cours des actions chuter de 50% à 75%.
« Rien, nulle part, ne sera épargné. Nous sommes à la limite d’un effondrement des actions qui va déchiqueter les portefeuilles, » juge Albert Edward, analyste stratégique à la SG .
« Nous voyons une récession mondiale se développer. Les liquidités vont s’assécher et crever les deux bulles des marchés émergents et des matières premières. Les nouveaux espoirs que « le pire pourrait être passé » sont vraiment stupéfiants. Les bénéfices sont en voie de désintégration », avertit-il.
La remontée des cours à laquelle on assiste pourrait durer jusqu’en juin. Mais n’y comptez pas trop. Les bourses mondiales ne sont déjà plus à la hausse - en un mouvement parallèle à celui du pétrole - dopées par le sauvetage des liquidités permis par les réductions des taux aux États-Unis, Royaume-Uni, et au Canada.
Le brut a cessé d’être l’ami des actions quand il atteint environ 110 dollars le baril. En frôlant les 126 dollars la semaine dernière il s’est transformé en une menace pure et simple. Le plan de sauvetage de Bush - 800 dollars de crédit d’impôt par ménage - a été réduit à rien par la dernière flambée des cours. Un foyer américain moyen dépense aujourd’hui plus de 8% de ses revenus pour l’énergie et le carburant.
L’OPEP joue avec le feu en refusant de produire plus de pétrole pour compenser les attaques rebelles au Nigeria. Dans cette situation, la baisse de production de 350 000 barils par jour en avril est un acte d’hostilité.
Mais pourquoi les États du Moyen-Orient devraient_ils aider l’Amérique alors même que la Maison Blanche continue de remplir les réserves stratégiques de pétrole des États-Unis pour préparer la guerre avec l’Iran ? Bush lui aussi joue avec le feu.
La flambée des cours du pétrole produira elle-même sa fin. La Chine atteint déjà ses limites. Avec une inflation à 8,5%, elle risque l’apparition de troubles sociaux. En outre, elle a répété les erreurs commises par le Japon dans les années 1980, en construisant de trop nombreuses usines produisant de trop nombreux articles à faible marge destinés à l’exportation vers un marché en train de s’effondrer.
Sun Mingchun, chez Lehman Brothers, estime que la situation de la Chine va se retourner au deuxième semestre de cette année. « Avec autant de surcapacité potentielle, un ralentissement débutant par les exportations pourrait déclencher une réaction en chaîne qui, dans le pire des cas, pourrait menacer la stabilité de [son] système économique et financier », observe-t-il.
La Grande-Bretagne, l’Europe, le Japon et la Chine ralentiront avant que l’Amérique ne redémarre. Le grand effondrement mondial de 2008-2009 est en cours et ce sera un éclatement de bulle parfaitement synchrone.
Par Ambrose Evans-Pritchard, The Telegraph, 13 mai 2008
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